Que cache l’amour des cosmétiques?

Beauté, santé et magnétisme accrus, tels seraient les bénéfices des cosmétiques au niveau de l’image que l’on donne de soi. C’est dire si l’apparence est loin d’être une question superficielle.

Selon des recherches de psychologie*, la beauté du visage est liée à la symétrie des traits et à la santé reflétée par la peau, mais elle révèle aussi, en fonction du maquillage employé, la personnalité: impression de stabilité, de confiance en soi et de réussite professionnelle. Dans le monde du travail, un bon make-up pourrait influencer le jugement d’autrui. Sur le plan de la séduction, la théorie du piège sexuel (la recherche du partenaire idéal pour avoir de beaux et solides enfants) explique que l’on s’intéresse à notre apparence. Là encore, le maquillage joue un rôle. Pour David Le Breton*, l’usage des cosmétiques aide à un mieux-être et participe à créer du lien social, montrant une marque de respect de soi et des autres. Un point de vue non partagé par Mona Chollet*. Pour elle, cela vise à créer des complexes et à fragiliser les femmes, puisqu’il s’agit moins de se sentir belles que d’obéir à des injonctions et de correspondre à des stéréotypes.

DAVID LE BRETON: “EN JOUANT AVEC SON VISAGE, ON PEUT ÊTRE DANS UNE RELATION LUDIQUE AVEC SOI-MÊME”
En quoi la cosmétique est-elle un outil de mieux-être? Il existe des journées maquillage pour les chômeuses, les détenues et les personnes hospitalisées. Même si l’on intervient à la surface du corps, on est des êtres «à fleur de peau». Le maquillage modifie l’image que l’on a de soi. En mettre pour sortir, aller au bureau alimente le lien social. Pour une demandeuse d’emploi, soigner son apparence fait partie du combat. Pour les femmes incarcérées ou hospitalisées, il s’agit de restaurer une estime de soi. La cosmétique «renarcissise».

Dans quelle mesure le recours aux cosmétiques traduit-il un narcissisme défaillant?
On peut être dans une relation ludique avec soi-même, éprouver du plaisir en s’occupant de sa peau, en jouant avec son visage. Mais on peut aussi être dans une démarche compensatoire, en faire trop, chercher à cacher un narcissisme carencé. Le maquillage est un bouclier qui piège le regard et maintient l’autre à distance.

Au travail, les femmes surtout sont jugées sur leur apparence et leur bonne mine. Pourquoi?
Dans le monde de l’entreprise, il y a toujours une séduction. On fait plus confiance à quelqu’un de souriant. Une bonne apparence donne l’impression d’être doté d’un bon self-control, ce qui est une qualité recherchée. Une femme est davantage jugée là-dessus, même pour des postes à responsabilités. Ce sont des représentations culturelles qui sont contestables.

Que penser de celles qui ne se maquillent jamais?
Certaines ont été assez aimées et sécurisées dans leur enfance et dans leur vie amoureuse pour se passer d’un adjuvant tel que le maquillage. Et, s’il ne fait pas partie des rituels appris dans l’adolescence, il sera difficile de s’y mettre à 40 ans. Dans d’autres cas, il peut s’agir de femmes qui ont renoncé à séduire, qui ne surveillent pas non plus leur poids ni leur santé. C’est un refus de féminité comme un refus de frivolité.

Mode et cosméto sont associées à la séduction, dans notre culture latine. Est-ce pour cela qu’on nous demande d’être une femme-objet plus qu’une femme sujet?
Le maquillage comme appât: une théorie darwinienne à laquelle je ne crois pas. Dans un système de pensée viriliste, il est facile de croire que le maquillage est une invitation faite aux hommes, mais il y a tant d’autres critères de séduction: l’attitude, l’expression, l’humour… C’est une qualité de présence qu’on ne peut pas théoriser. Le fait que l’on attende des femmes une passivité n’est pas typique de notre culture latine. Les canons de la beauté diffèrent d’une société à l’autre, les attentes aussi mais on retrouve dans toutes les cultures du Sud une valorisation du rôle de la femme-objet.

 

MONA CHOLLET: “ON ENCOURAGE À UTILISER LA COSMÉTIQUE POUR SE «CORRIGER» PLUS QUE POUR SE FAIRE DU BIEN”
Le maquillage comme outil de mieux- être, qu’en pensez-vous? Dans le cas des chômeuses que l’on maquille, le but est de les rendre plus conformes aux attentes d’un employeur. On insinue que leur apparence compte plus que leurs compétences professionnelles. En prison et à l’hôpital, il n’y a pas d’enjeu direct, et c’est probablement à l’hôpital que ce genre d’opération se justifie le mieux: les cosmétiques peuvent aider les patientes à retrouver le sentiment de leur identité.

Dans quelle mesure le recours aux cosmétiques traduit-il un narcissisme défaillant?
Il y a du plaisir à prendre soin de soi. Mais on s’éloigne souvent de cette vision idéale. La société encourage les femmes à ne se soucier que de cette dimension d’elles-mêmes, ce qui les fragilise. Ensuite, certaines stratégies commerciales les amènent à utiliser la cosmétique pour se «corriger» plus que pour se faire du bien.

Au travail, les femmes surtout sont jugées sur leur apparence. Pourquoi?
Dans l’entreprise ou en politique, elles sont constamment ramenées à leur physique, qui capte plus l’attention que leurs compétences. L’idée que leur vocation principale est d’offrir un spectacle agréable est enracinée. Elles doivent répondre aux attentes sur leur tenue ou leur apparence, sans être trop sexy, sans quoi elles se discréditent. Cela est une manière de créer une subordination et de leur signifier que leur présence dans ces sphères est illégitime.

Que penser des femmes qui ne se maquillent jamais?
Certaines sont très féminines et séduisantes sans se maquiller. Cela peut signifier simplement qu’elles sont concentrées sur ce qu’elles vivent plus que sur l’image qu’elles donnent. D’autres peuvent ne pas souhaiter apparaître comme «féminines». Notre apparence correspond à des codes sociaux.

Mode et cosméto sont associées à la séduction, dans notre culture latine. Est-ce pour cela qu’on nous demande d’être une femme-objet plus qu’une femme-sujet?
Les Américaines vivent la même situation! Parmi les motifs de ces injonctions à souligner sa féminité, il y a la crise: l’avenir fait peur, on se raccroche à des repères rassurants, à des rôles «genrés». J’ai été très frappée par la nostalgie pour les Trente Glorieuses suscitée par la série Mad Men et pour les clichés tels que: «À l’époque, les femmes ressemblaient à des femmes et les hommes à des hommes.» Cela réactive la vieille division des rôles qui fait de l’homme celui qui pense, crée, regarde, et de la femme celle qui est regardée, inspire mais ne crée rien.


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