Dormez, je le veux

Dormir, quoi de plus naturel? Morphée nous dorlote plus d’un tiers de notre vie (36% exactement) alors que seulement 16% sont dédiés au travail et 11% à se nourrir. Las, ce bel équilibre se fissure: nous dormons de moins en moins et encore moins depuis l’avènement de l’internet et c’est une catastrophe. Il est grand temps de se réveiller!

Chasser les idées reçues
Comme le décrit l’un des spécialistes mondiaux du sommeil, le charismatique professeur Russel Foster de l’Université d’Oxford – qui donnait en mars dernier une conférence éblouissante à Berne lors du Séminaire des médecins du groupe Swiss Medical Network –, le sommeil reste perçu depuis l’invention de l’électricité comme une activité de paresseux, certes nécessaire, mais en aucun cas essentielle dans nos vies débordées.

Un luxe? Une perte de temps?
C’est en tout cas de cette façon que le sommeil est de plus en plus considéré dans nos sociétés modernes. Comment en effet gérer famille, travail, loisirs, sport et trouver le temps de passer huit heures dans les bras de Morphée? Peut-on encore, sans conséquence, diminuer le nombre d’heures qu’on lui accorde?

Santé et sommeil inexorablement liés
Et pourtant, le manque de sommeil est si préjudiciable! Perte d’attention, impulsivité, anxiété sont les premiers effets bien connus, mais plus grave encore sa mauvaise qualité met en péril tout notre système immunitaire et provoque des troubles en série: augmentation de ghréline (l’hormone qui stimule l’appétit) et donc prise de poids; hausse du taux de cortisol (l’hormone du stress) et d’acide gastrique (bonjour l’ulcère); diminution de l’insuline d’où le risque de diabète, etc. Et comme si la liste n’était pas assez longue, dormir insuffisamment à long terme accroît également les risques d’infections, de cancers et de maladies cardiovasculaires.

Dormir, c’est mémoriser
A l’inverse, les bienfaits du sommeil sont multiples: élimination des toxines, réparation tissulaire et reconstruction métabolique. Il faut savoir que lorsque l’on s’abandonne enfin au repos, notre cerveau reste, quant à lui, très actif. C’est en effet en dormant que notre mémoire se consolide. Comme le souligne le professeur Demonet du CHUV, également conférencier au Séminaire Swiss Medical Network, «les phases de sommeil lent et profond jouent un rôle déterminant pour la mémorisation des éléments qui ont été encodés durant la journée». Les informations ne sont pas simplement stockées, mais doivent être traitées. Comme l’explique le Dr Bogousslavsky, neurologue réputé à la Clinique Valmont: «Ce n’est pas simplement un flash photographique rangé, mais une construction mentale qui évolue avec le temps.»

Le meilleur ami de la mémoire est donc le sommeil! Et quand on sait que tout le fonctionnement cérébral est intimement lié à des phénomènes de mémoire, il ne nous reste plus qu’à nous adonner sans retenue à cette fonction naturelle qui ne veut que notre bien – l’avenir appartient à ceux qui se couchent tôt!

24h chrono
Notre équilibre veille-sommeil est réglé par un rythme circadien, autrement dit un rythme biologique de 24 heures. Cette horloge biologique bien huilée régule par exemple notre température corporelle qui diminue le soir afin de faciliter l’endormissement.

Parfois, pour contrer le signal que nous envoie l’horloge biologique, nous employons des stimulants bien connus: caféine et nicotine. Or, le café ne devrait pas être consommé après 14h sous peine de menacer l’arrivée du sommeil. En effet comment, le soir venu, réussir à s’endormir lorsque l’on a usé et abusé de ces substances? Malheureusement, parfois on en utilise d’autres: sédatifs et alcool. Se met alors en place un cercle vicieux, non dénué de conséquences qu’il faut essayer à tout prix de combattre pour ne pas dérégler l’horloge.

Pour aller plus loin, il est intéressant de savoir que les scientifiques ont découvert que notre pic de performances cognitives se situe entre 10h du matin et 22h le soir! A l’inverse, entre 3h et 7h du matin, rien de transcendant ne sortira de nos synapses surdouées. Cela n’est pas uniquement une question de fatigue, mais la résultante directe de cette fameuse horloge biologique. «Notre aptitude à effectuer des tâches entre 4h et 6h du matin est pire que si nous étions en état d’ébriété», déclare très sérieusement le professeur Foster. On comprend dès lors le danger d’effectuer certaines activités à des heures aussi matinales. L’idéal pour travailler: commencer sans se fatiguer vers 9h du matin. Plus facile à dire qu’à faire, mais au moins nous sommes prévenus!

Russel G. Foster est professeur de neurologie circadienne et responsable du Département d’ophtalmologie de l’Université d’Oxford; le professeur Jean-François Demonet est chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), médecin-chef du service de neurologie du CHUV, directeur du Centre Leenaards de la Mémoire du CHUV; le professeur Julien Bogousslavsky est spécialiste FMH en neurologie, médecin répondant au Neurocentre GSMN, médecinchef neurologie et neuroréhabilitation, il exerce également à la Clinique Valmont et à la Clinique de Montchoisi.

A la recherche des excitants cachés
Même si on a pris l’habitude de se méfier du café après 17h, la caféine a le chic de se cacher là où on ne l’attend pas. Au lieu de nous envoyer dans les bras de Morphée, certaines infusions – qu’on prend pour tout autre chose – nous donnent ainsi un coup de fouet équivalent à celui d’un espresso. Un exemple: la tisane de maté aux vertus amincissantes mais trop énergisante. Méfiance aussi à l’égard de notre petit rituel sucré d’avant coucher: «Le chocolat noir a un effet apaisant sur notre moral mais tonique sur notre organisme. Mieux vaut donc le consommer plus tôt dans la journée», explique le Dr Franck Senninger, médecin spécialiste de la nutrition et du sommeil, auteur de Un cerveau efficace (éd. Jouvence). On se méfie également de l’alcool: «A partir de 2 verres de vin, on trouve certes plus facilement le sommeil mais on est sujet aux insomnies de la 2e partie de la nuit, c’està- dire qu’on se réveille fréquemment, qu’on a du mal à se rendormir et qu’au final on dort moins longtemps», poursuit le spécialiste. D’autres aliments ralentissent la digestion et font augmenter notre température corporelle.

Or celle-ci doit baisser pour que nous trouvions le sommeil. On évite donc les soupers à base de plats superépicés, trop riches en acides gras saturés (charcuterie, fromage, friture, viande rouge) ou bourrés d’acides gras trans (viennoiseries, préparations industrielles). Enfin, pour des raisons digestives toujours, il est préférable de ne pas souper trop tard, c’est-à-dire au moins deux bonnes heures avant l’extinction des feux.

Du miel, dès le matin
Passer une bonne nuit, ça se prépare dès le matin. D’ailleurs, notre petit déjeuner à la française avec ses tartines et ses croissants n’est pas adapté à notre physiologie. Mieux vaudrait les remplacer par du jambon maigre, des oeufs, des yaourts, du fromage et des céréales. Les protéines animales ou végétales qu’ils contiennent favorisent la production des neurotransmetteurs diurnes et nous permettent de démarrer la journée du bon pied. On pense également au miel: une cuillerée à café le matin relance la production de tryptophane le soir et optimise la synthèse de sérotonine.